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«Comme on l’empêchait de vivre, il se fit poème et il se tut. »

Par Nordine Azzouz

Jean Sénac a un peu de Verlaine en lui, à qui il se mit à ressembler étrangement avant que quelqu’un, un obscur, ne lui ôte la vie.

Avec Pasolini, autre de ses illustres semblables, il a en partage la sincérité du scandale absolu et la mort tragique du poète maudit.

Il pouvait donc tout dire, Sénac, tout se permettre ; comme de signer ce vers tiré de « L’homme ouvert », poème écrit et édité à Paris en avril 1952.

Jamais, en revanche, il ne pouvait avoir le temps ni le souffle – qu’on lui a coupé - pour découvrir l’impossibilité du silence qu’il déclamait et qu’il réclamait pour son homme ouvert, qui se tut après « s’être fait flamme » puis « houille » aussi.

Irréalisable, ce mutisme qu’il implorait.

Impossible, car, que de fois, Sénac a été raconté, étudié, scruté ; que de fois, il a été salué, jugé, haï, autopsié de son vivant même…

Ses « démons », ses « éblouissements », ses amours, ses «bagnes », sa communion fraternelle avec les autres, ce sont-là ses propres mots, ont rendu impensable toute indifférence ou insensibilité à son égard, à ce qu’il a été et restera : un merveilleux poète doublé d’une figure tragique.

S’il est présent dans des biographies, au cinéma et dans le film documentaire, jamais Sénac n’a pourtant réellement fait l’objet d’une œuvre romanesque. Il a fallu que cinquante ans passent, après son assassinat dans son domicile algérois de la rue Elisée reclus (aujourd’hui Omar Amimour), un certain 30 août 1973, pour que cette anomalie soit corrigée par Hamid Grine.

L’écrivain s’y emploie avec talent, s’empare du genre et fait beau bruit du grand poète et de son calvaire. « On dira de toi », son roman au beau titre allusif, restitue un peu de la vie périlleuse de Sénac, de ses excès et de son insouciance face au danger qu’il recherchait obsessionnellement jusqu’à ce qu’il y tombe bêtement, cruellement.

Son récit qui mêle la fiction aux vérités est surtout écrit en élévation contre cette loi orale que nous connaissons si bien dans nos contrées et contre sa toute-puissance à troubler les faits les plus avérés, que son héros confronte tranquillement à ce qu’il découvre de vrai, de faux ou d’exagéré dans ce qui a été conté et rapporté au sujet du barde supplicié et de son existence d’homme pas comme les autres…

Ce personnage s’appelle Farid, un prénom distinct. Homme de plume de surcroit, sa grande affaire littéraire, ce n’est pas Sénac dont il connait l’œuvre et la beauté de « l’Homme ouvert » qu’il cite de mémoire, mais Camus ; qu’il lit et interroge sans cesse, au point d’en avoir fait le personnage d’un de ses récits remarqué et traduit en plusieurs langues étrangères, dont l’italien.

Son amitié pour Zohir, un compatriote de Turin, lui fera accepter de recevoir et d’accompagner Claudio un autre turinois venu à Alger selon les volontés de son épouse Gina, qui connaît et admire l’œuvre de Sénac, mais qu’un cancer mortel lui interdit de voyager.

Farid et Claudio vont ainsi se retrouver engagés à marcher à la piste, l’un et l’autre, sur les traces de la sulfureuse légende sénacquienne ; à suivre les allées et venues de l’artiste dans cette ville blanche et étourdissante qu’il courait le jour et hantait la nuit.

Hamid Grine - On dira de toi

1 400,00دجPrix
  • ISBN:

    9789947631065

  • Nombre de pages :

    322

  • Edition:

    Dalimen

  • Date de parution:

    2023

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